Il y aurait une relation peu connue d’incompatibilité entre longévité et croissance (et notamment la croissance musculaire). En fait, à partir d’un certain point, il faudrait choisir entre prendre du muscle ou vivre plus longtemps.
Ce principe a retenu notre attention en lisant l’ouvrage des Docteurs DiNicolantonio et Fung intitulé « La solution longévité[1] ». Sa quatrième de couverture stipule nous « donner toutes les clés pour augmenter notre longévité tout en restant en bonne santé et plein de vitalité ».
Voyons de plus près comment les fonctions de croissance (l’anabolisme) du corps ne vont pas dans le sens de la longévité.
Pourquoi vieillit-on ?
Rappelons que de nombreuses théories sur les causes du vieillissement cohabitent (voir cet article sur les mécanismes du vieillissement)) :
- Effet à long terme de l’oxydation dans nos cellules,
- Perte des fonctions des mitochondries (qui génèrent notre énergie),
- raccourcissement des télomères avec erreurs de réplication de notre ADN cellulaire,
- glycation des protéines,
- sénescence cellulaire,
- défaillance du système immunitaire,
- baisse de la production hormonale,
- accumulation de toxines dans le corps
- modifications épigénétiques…
Tout cela pouvant être accentué par une mauvaise alimentation, la sédentarité, le stress chronique, les prédispositions génétiques, etc…
Voies métaboliques liées au vieillissement et capteurs de nutriments
Une voie métabolique est un ensemble de réactions dans notre corps, centrées sur une fonction particulière mettant en œuvre des gênes, des hormones et/ou des protéines spécifiques (souvent des enzymes).
Aujourd’hui, on connait différentes voies métaboliques particulièrement impliquées dans le vieillissement du corps. Il s’agit, en particulier, de 4 voies principales aux noms un peu barbares :
- Voie mTOR (mamalian Target Of Rapamycine)
- Voie de l’IGF (Insuline Growth Factor), une des hormones de croissance
- Voie de l’insuline
- Voie de l’AMPK (AMP activated Protein Kinase), très liée à l’énergie cellulaire et donc au fonctionnement des mitochondries.
Notre article, synthétisé de l’ouvrage précité, tente de lever le coin du voile sur le rôle de ces systèmes qui contribuent, selon la façon dont ils sont stimulés, soit à l’apparition de maladies dégénératives, soit à une longévité accrue.
D’autre part, chez tous les animaux, la survie est liée à la présence de « capteurs de nutriments » et à leur étroite association à la croissance [2]. Ces capteurs vont ressentir la présence de certains nutriments dans le corps comme le glucose (sucre), les protéines, certains acides aminés, etc… Or, il se trouve que les 4 voies métaboliques vues plus haut sont liées (directement ou indirectement) à certains capteurs de nutriments.
En conséquence, nous verrons qu’en intervenant sur l’alimentation, il est finalement possible d’agir sur ces voies métaboliques, et donc d’influencer la longévité.
La voie de l’insuline
La voie métabolique de l’insuline est la plus anciennement connue. Le rôle le plus important de cette hormone fabriquée par le pancréas, est de réagir à un apport de glucides (sucres) par l’alimentation, et à stocker une partie du glucose ingéré. Cependant, l’insuline peut favoriser également la croissance et la division cellulaire, au détriment de leur durée de vie.
Ainsi, DiNicolantonio et Fung mentionnent que l’ajout de glucose à la nourriture des vers C. elegans raccourcit leur durée de vie[3]. Cela explique aussi que, lorsque la glycémie chute rapidement, comme en période de jeûne ou de restriction calorique, un niveau plus faible d’insuline limite la croissance mais prolonge la durée de vie chez plusieurs espèces animales.
La voie de l’IGF1
L’IGF-1 (ou Insuline Growth Factor) est une hormone de croissance très proche de l’insuline, qui joue aussi un rôle dans le vieillissement. Cette hormone est sécrétée par le foie après stimulation par l’hormone de croissance produite par l’hypophyse (GH). Elle passe dans le sang pour notamment stimuler la prolifération des cellules. C’est une hormone « anabolisante », notamment pour la croissance des cellules osseuses et musculaires.
Dans l’étude des « nains Laron » qui ne souffrent ni de cancer ni de diabète, cette peuplade équatorienne possède des taux d’IGF particulièrement bas, ce qui empêche le développement de tumeurs (ainsi que leur croissance en taille bien entendu).
DiNicolantino et Fung rapportent également que des souris souffrant d’un déficit génétique en hormone de croissance vivent 40 % plus longtemps. Le Dr Henri Joyeux, dans ses conférences, met d’ailleurs en garde sur le rôle délétère occasionné par le lait de vache – et les hormones de croissance qu’il contient notamment aujourd’hui (épidermique, de transformation et de croissance de l’insuline) – qui sont adaptées au veau et pas à l’homme[4].
Chez l’homme, des taux plus faibles en hormone de croissance hypophysaire (GH) et en IGF sont associés à une meilleure santé et à une vie plus longue. A l’inverse, des taux élevés d’hormones de croissance entraînent une absorption/production trop importante de protéines qui sont liées aux processus de croissance du corps (l’anabolisme). Cela favorise les maladies liées au vieillissement.
La voie mTOR
mTOR ou « mammalian Target Of Rapamycin » (cible de la rapamycine chez les mammifères) désigne une enzyme dont la production dépend du gène du même nom. Elle existe chez l’homme, les animaux et des micro-organismes. Cette voie régule la croissance et la mobilité de nos cellules. D’après DiNicolantonio et Fung ce « capteur de nutriments » est sensible aux protéines alimentaires et aux acides aminés.
Or, un excès d’activité mTOR peut diminuer la durée de vie selon diverses études.
Ainsi, une restriction en protéines alimentaires qui peut contribuer à faire baisser le taux de mTOR, diminuant les processus de croissance, pourra donc améliorer la longévité.
C’est surtout dans l’enfance que mTOR favorise la croissance et le développement, alors que plus tard dans la vie, l’activité trop importante de cette voie peut accélérer le vieillissement.
Les médicaments qui bloquent la voie mTOR – comme la rapamycine – permettent de prolonger la vie des levures, notamment en raison de leur effet sur l’autophagie. Ils permettent en fait d’éviter l’accumulation de protéines endommagées (et de certains « déchets » et corps étrangers) dans nos cellules.
La rapamycine est aussi un médicament anti-rejet utilisé lors de transplantation d’organes et un anti-tumoral. Elle a été isolée à partir d’une bactérie (Streptomyces hygroscopicus) tirée d’un échantillon du sol de l’île de Pâques (Rapa Nui en polynésien), d’où le nom de cette molécule.
L’aspirine, la curcumine, le piment (capsicaïne), l’hibiscus, le coenzyme Q10, le resvératrol et l’EGCG du thé vert en particulier, en inhibant le mTOR, favoriseraient également l’allongement de la durée de vie.
La voie de l’AMPK
L’AMPK, (protéine kinase activée par l’adénosine monophosphate), est largement impliquée dans l’homéostasie cellulaire (les fonctions qui maintiennent nos cellules en vie). Elle est régulatrice de la production d’énergie (ATP, par les mitochondries*) et aussi de sa consommation. Elle permet – quand elle est activée – d’induire une baisse de la croissance des cellules.
La baisse du glucose est un des signaux qui vont stimuler AMPK, comme la baisse de production d’énergie. La metformine, un médicament anti-diabétique (chez qui on a découvert ces dernières années des propriétés anti-âge) active l’AMPK .
Comme pour le mTOR, certaines substances naturelles comme le resvératrol (raisin, vin), le gallate d’épigallocatéchine EGCG (thé vert, chocolat noir) ou la capsaïcine (poivrons, curcuma, ail), l’acide alpha-lipoïque, le coenzyme Q10,… agissent sur l’AMPK dans le sens d’un rallongement de la durée de vie.
La spermidine est un complément alimentaire plus spécifique à l’activation d’AMPK (et elle possède en outre des vertus sénolytiques).
Aussi, une plante cucurbitacée, Gynestemma pentophyllum activerait l’AMPK en accélérant le métabolisme. Elle aurait ainsi également une action contre l’obésité [7].
La restriction calorique, et notamment la restriction en protéines, active l’AMPK en améliorant l’absorption du glucose et en augmentant la synthèse de nouvelles mitochondries dans nos cellules. Elle possède une activité considérée comme opposée à celle de l’insuline et de mTOR.
Voies métaboliques et vieillissement
De nombreux autres systèmes enzymatiques coexistent dans le corps humain (une centaine de millier de protéines fonctionnelles cohabitent dans notre corps). Citons par exemple, parmi les plus étudiés en rapport avec le vieillissement : PGC1alpha, SIRT1, Nrf2, FOXO, Klotho…
De même, plusieurs autres systèmes de régulation hormonaux (dont le système rénine–angiotensine par exemple) ont des répercussions sur la longévité et la santé. Tout cela est complexe et bien souvent intriqué, ce qui justifie une approche globale du vieillissement.
La restriction protéique et le jeûne
La restriction protéique permettrait donc, en diminuant l’activité de mTOR et en activant celle de l’AMPK (entre autres), de rallonger la durée de vie. Cependant, une telle restriction pourrait favoriser chez les personnes âgées une baisse de la masse musculaire (sarcopénie). Il faut donc procéder avec logique et modération (voyez cet article à propos de l’apport de protéine correct selon l’âge et l’activité).
En fait, chez l’adulte, lorsque la croissance n’est plus nécessaire, les systèmes enzymatiques qui la favorisent deviennent potentiellement nocifs pour la longévité. Le jeûne, en conséquence, pourrait permettre de réguler ces systèmes et d’assurer une longévité en meilleure santé.
Le corps humain est fait pour supporter des périodes de famine (où l’on vit sur ses réserves) et d’abondance (où l’on stocke de la nourriture)[5]. Lors d’une période de jeûne, le corps commence par éliminer les cellules vieillies, sclérosées, malades, tumorales.
Le jeûne, qui comprend une privation de protéines, induit aussi une réduction de l’activité mTOR, incitant l’organisme à l’autophagie (le recyclage/nettoyage des vieux composés et protéines détériorées dans nos cellules), d’autant plus que, pour rappel, chaque minute 200 millions de cellules naissent et remplacent les vieilles cellules qui meurent[6] (voir aussi cellules souches et anti-âge).
Enfin, pendant le jeûne, les taux d’insuline diminuent, et cela engendre l’augmentation d’autres hormones appelées « contre-régulatrices », encore intéressantes pour la santé/longévité. D’après les auteurs, ces hormones sont ainsi nommées car leur action va à l’encontre de celle de l’insuline. Quand l’insuline diminue, ces hormones augmentent.
Les auteurs font l’apologie du « jeûne intermittent » 16/8, qui consiste à ne pas s’alimenter pendant 16 heures (temps de sommeil compris) avec une fenêtre de 8 heures pour s’alimenter (voir ici les secrets du jeûne intermittent).
Alors que l’insuline incite l’organisme à stocker du glucose, les hormones contre-régulatrices le poussent au contraire à être utilisé. Les ,auteurs donnent en exemple l’adrénaline et la noradrénaline (les deux principales) mais aussi le cortisol, l’hormone de croissance… Leurs taux augmentent notamment avec l’activation du système nerveux sympathique, par exemple : dans la réaction de stress, lors de laquelle le glucose va être utilisé pour produire de l’énergie, pour préparer le corps à la fuite ou au combat.
Le fait que l’hormone de croissance (GH) augmente significativement pendant les périodes de jeûne (un jeûne de 24 h multiplie par 2 ou 3 sa production) n’est pas un problème. Les auteurs expliquent que cette poussée de GH survient, dans le jeûne, sans synthèse de protéines car les taux d’insuline et l’activité mTOR sont bas. Ainsi, il n’y a pas de réel phénomène de croissance dans le même temps.
Au final, les auteurs donnent des explications scientifiques sur les effets positifs et déjà constatés du jeune, de la restriction calorique et de la restriction en protéines, notamment par le biais des voies métaboliques liées au vieillissement.
Une grande partie de l’ouvrage est consacrée également aux différents aliments indispensables pour « vieillir en bonne santé ». Nous ne les citerons pas ici mais ils favorisent, selon les cas, l’inhibition de l’activité mTOR ou de l’insuline ou d’IGF1, ou bien encore la stimulation de la voie de l’AMPK.
Maladies liées à l’âge et apports de protéines
Les auteurs rappellent aussi que les maladies liées à l’âge, comme la maladie d’Alzheimer, sont caractérisées par une accumulation dans le cerveau de certaines protéines qui bloquent la transmission de signaux vitaux.
Le cancer est lui aussi le résultat de la prolifération de plusieurs composés, dont plusieurs types de protéines, confirmant que nombre de maladies dégénératives sont liées à une sorte d’«excès de croissance» favorisé par les apports importants d’acides aminés alimentaires.
Le dernier chapitre de l’ouvrage de DiNicolantonio et Fung donne 5 piliers logiques d’une « solution longévité » :
- La restriction calorique,
- La diminution de l’activité de la voie mTOR ou des protéines,
- l’intérêt du café, du thé et du vin,
- L’intérêt des apports de sel, sodium et magnésium,
- L’augmentation des apports de graisses naturelles et saines.
Il s’agit donc d’une vision intéressante des phénomènes complexes du vieillissement et des moyens de les limiter (ou du moins de ne pas les accélérer). Le livre brise quelques lieux communs et tabous de la médecine.
Un regard critique ainsi qu’un peu de recul restent de mise mais cet ouvrage conforte notre idée d’une approche globale et non figée de la lutte contre le vieillissement, ou plutôt de la lutte contre le vieillissement accéléré et/ou lié aux maladies dégénératives.
Il y a déjà beaucoup à faire pour aider les gens à rester longtemps en bonne santé, l’immortalité ou les records de longévité n’étant pas, pour nous, une fin en soi.
Article écrit avec la participation du Dr Jean Luc MOREL
Le syndrome de Laron (retard de croissance lié à une maladie génétique) est tiré des « nains de Laron », qui seraient 350 dans le monde dont une centaine en Equateur, et sont qualifiés de peuplade, tribu ou communauté suivant les sources – ou les traductions. Le mot anglais tribe est souvent utilisé. Pour vérifier, il existe plusieurs centaines de publications mentionnant cette… « tribe » qu’on peut vérifier en utilisant le moteur de recherche scholar.google.com. Par ailleurs la définition Larousse de peuplade est : Groupe humain ne constituant pas une société fortement structurée. Il n’y a rien de « chocking » à cela. Après cela devient de l’ethnologie, ce qui n’est pas ma spécialité 😀 Le plus important est de saisir le lien entre absence de cancer, taux de GH élevé et IGF bas.
Par contre je pense qu’il serait opportun de ne plus parler de nains Laron mais de « personnes de petite taille Laron ».
Un mode d’expression qui m’a choqué. L’auteur écrit : « Dans l’étude des « nains Laron » qui ne souffrent ni de cancer ni de diabète, cette peuplade équatorienne …… ». Pourquoi ce terme, plein de mépris, de « peuplade » à propos de cette population andine? Les peuples premiers qui préexistaient à l’arrivée des Européens sur le continent américain ainsi que les populations métisses qui en sont issues ne sont pas inférieurs, en dignité, aux peuples venus d’Europe qui les ont submergés. C’est même la grandeur historique des peuples latins que de ne pas avoir eu les préjugés raciaux des Anglo-saxons ou, pire encore, des Allemands (voir l’horrible sort réservé aux hereros dans la colonisation de l’Afrique australe, aux aborigènes en Australie et Tasmanie sans même évoquer le sort des Amérindiens dans l’Amérique du nord anglaise).
Merci pour toutes ces informations ! Je pense que je vais plutôt choisir de prendre du muscle ;)
Plus sérieusement, exercice, restriction calorique, thé et bonnes graisses semble un compromis intéressant, mais je n’ai fait que parcourir. Tous ces paramètres sont d’une telle complexité qu’on a toujours à opérer des choix, aussi, vraiment merci de rédiger ces articles.
Vraiment très intéressant, merci
Article très intéressant mais qui mériterait que je le relise pour bien tout comprendre et appréhender :)
Concernant la masse musculaire, avec l’âge l’enjeu est davantage de la préserver plutôt que d’en prendre. Que pensez vous de la méthode d’électrostimulation musculaire que de nombreux clubs proposent ? J’aimerai beaucoup avoir votre avis, celui de lecteurs et celui de professionnels de la santé. Merci.
Je pense que l’électrostimulation peut intervenir en complément, mais pas à la place de l’exercice…
On ne ventile pas aussi bien…
Je préfère recommander des massages appuyés comme le massage thaï…pour remuer des muscles en profondeur qui ne bougent pas assez
Voyez le guide de l’électrostimulation qui traite de ses bienfaits (février 2023). Je ne le connais pas, mais vraisemblablement source d’informations en réponse à la question :
https://www.pave.fr/ebook/9782757609620-le-guide-de-l-electrostimulation-thierry-paillard/
Passionnant.
Bravo pour cet article !