Mode, mythe ou réalité, l’équilibre acide-base du corps et l’alimentation alcaline sont sujets de polémiques. Vous avez entendu parler du régime acide-base mais faut-il éviter de s’acidifier par l’alimentation, ou cela n’est-il qu’un mythe ?
Article mis à jour le 21/09/2023
Voici des éléments de réponse et de réflexion.
Pour certains médecins (et pour les naturopathes) l’accumulation des « déchets acides » du corps et une alimentation acidifiante sont les grands responsables de nombreux maux de civilisation et maladies liées à l’âge. Une « acidose de bas niveau» pourrait s’installer à bas bruit, perturber les fonctions métaboliques et générer progressivement des maladies. Il faudrait donc la repérer et aider le corps à rétablir l’équilibre en cas de besoin avec une alimentation plus alcaline (pour en savoir plus, lire l’équilibre acide-base du corps et l’âge).
Pour d’autres, il s’agit de fables : le corps sait très bien réguler son équilibre acide-base tout seul. Certains affirment que les aliments n’ont aucun effet sur celui-ci mais seulement sur le pH de l’urine.
Vous me direz qu’il suffit de plonger dans la littérature et les études scientifiques pour savoir qui a raison. Hé bien non. Les études donnent des résultats contradictoires. J’avoue qu’au feeling, la première option me parait avoir du sens, surtout si l’on s’intéresse aux médecines globales et alternatives. Mais essayons de démêler un peu les choses pour en tirer quelque conclusion utile, s’il en est.
Acide ou alcalin, basique, pH ?
L’acidité dans le corps
Le pH est une mesure d’acidité : inférieur à 7, il est acide, supérieur à 7, il est alcalin (ou basique), égal à 7, il est neutre. Tous les compartiments du corps humain (sang, intracellulaire, extracellulaire…) ont un « pH » bien défini. Notre organisme fonctionne ainsi et des variations peuvent empêcher sesenzymes de bien opérer. De nombreuses réactions métaboliques sont alors diminuées.
Il est parfaitement admis que les cellules de notre corps produisent des déchets acidifiant (acides faibles, gaz carbonique…) en faisant leur travail de fabrication ou de production d’énergie (selon leurs fonctions et leur métabolisme).
En rouge les facteurs d’acidité. En vert les facteurs alcalinisants.
Ph du corps : de quoi parle t’on ?
Tout d’abord, il est clair que la notion d’acidité ou d’alcalinité dépend de l’endroit du corps :
- neutre (et très légèrement alcalin vers 7,4) : la lymphe, le sang , le milieu où baignent nos cellules (inter-cellulaire), le liquide céphalorachidien…
- neutre : l’intérieur des cellules (parfois très légèrement acide), la salive…
- alcalin : la bile, les sucs pancréatiques (autour de 8)…
- acide : intérieur de l’estomac (1 à 3), l’urine (4 à 6) le plus souvent, la peau (4 à 5.5), les lysosomes dans nos cellules…
Aussi, on ne peut pas parler d’acidité ou d’alcalinité du corps (c’est un non-sens) mais de certaines parties. Il est vrai que les fluides qui véhiculent la plupart des déchets acides sont le sang, la lymphe et le milieu inter-cellulaire, et ils sont légèrement alcalins, ce qu’il faut préserver pour que tout fonctionne bien.
Les défenses naturelles du corps contre l’excès d’acidité
La nature est bien faite et notre corps possède trois grandes lignes de régulation du pH (et donc de l’excès d’acidité) :
- les substances tampons : il s’agit surtout des bicarbonates et des protéines (notamment hémoglobine) qui vont neutraliser localement les acides formés,
- l’élimination du gaz carbonique par les poumons : elle permet d’éliminer de l’acidité en augmentant l’expiration de CO²
- les reins : qui peuvent éliminer l’acidité par les urines.
Ces systèmes de défense sont parfois dépassés en cas de maladie lourde, et lorsque le pH sanguin varie de +/- 0,1, les conséquences sont très graves, telles que l’on le voit en service de réanimation.
Les pro « équilibre acide-base » disent qu’en dehors de ces cas extrêmes, il peut exister une lutte à bas bruit du corps contre l’excès d’acides qui finirait, à la longue, par l’affaiblir et par puiser des minéraux utiles (comme le calcium) dans ses os et/ou des acides aminés dans ses muscles pour compenser la baisse du pH. Ceci pourrait engendrer une déminéralisation et tout un cortège de symptômes (au demeurant pas très spécifiques, il est vrai) : fatigue, douleurs tendino-musculaires, maux de tête, mauvaise digestion, mycoses… D’où l’intérêt d’une alimentation alcalinisante.
Les aliments peuvent-ils modifier notre acidité intérieure ?
La théorie de l’acidose induite par l’alimentation
Il n’est pas contesté que chaque aliment possède un potentiel acidifiant ou alcalinisant : le PRAL (Potential Renal Acid Load) est un indice qui le reflète. Chaque aliment, une fois décomposé, laisse des éléments plus ou moins acides ou bien alcalins. On peut alors mesurer dans les urines une modification des acides excrétés et donc du pH.
L’alimentation moderne serait ainsi trop acidifiante puisque trop riche en céréales, viandes, fromages, produits préparés industriels… et trop pauvre en fruits et légumes et produits non transformés.
Là où ça coince, c’est que l’on ne retrouve pas les mêmes variations de pH au niveau du sang. D’un autre côté, heureusement car sinon, nous tomberions en coma en mangeant du camembert ! Ceci permet donc aux détracteurs de dire que les aliments ne modifient pas notre acidité intérieure, seulement les urines. Les partisans se défendent en disant que la variation est infime puisque le corps fait tout pour préserver un pH sanguin stable mais que, néanmoins, il a mis en jeu ses systèmes de défense. Ainsi, si la tendance à l’acidification dure dans le temps, elle va se répercuter sur les tissus et dans les cellules, puis engendrer insidieusement des mauvais fonctionnements et des troubles de santé.
Ceci dit, une publication de 2010 reprend un grand nombre d’études scientifiques qui montrent que l’alimentation peut induire significativement une acidose (12), ainsi que ses mécanismes.
Et les autres facteurs acidifiants ?
L’effet du stress, du manque d’exercice, de la mauvaise fonction respiratoire, du vieillissement ou d’une insuffisance des reins sur l’équilibre acido-basique ne sont pas vraiment contestés.
Mais l’histoire se répète : si les détracteurs admettent qu’une personne en insuffisance rénale grave (les reins ne fonctionnent presque plus) peut modifier son acidité sanguine et l’amener jusqu’en service de réanimation, ils ont du mal à croire qu’un facteur d’acidification modéré (et donc relativement bien compensé par les systèmes tampons du corps) puisse avoir des répercussions sur la santé.
L’acidité modérée peut-elle dégrader la santé ?
Comme on vient de le voir, les détracteurs conçoivent uniquement que des conséquences graves et aigues puissent survenir en cas de modification du pH sanguin et intercellulaire. Le reste du temps, ils affirment que les systèmes pulmonaires, rénaux et tampons suffisent à une parfaite régulation du pH.
Les partisans, de leur côté, pensent que le corps, en cas d’excès continu d’acidité, va finir par puiser dans ses réserves (minérales et/ou musculaires en particulier) pour maintenir la stabilité du pH. Ces phénomènes entraineraient au long cours :
- Déminéralisation et fragilité osseuse
- Perte de muscle
- Fatigue chronique
- Risque de calculs rénaux
- Rhumatismes, goutte
- Augmentation de la sensibilité à la douleur
- Baisse des défenses immunitaires
- Caries dentaires
- Augmentation du risque de tension artérielle
- Migraines
- Nervosité, spasmophilie, dépressions
- Eczéma et dermatoses…
Mais que disent les études ?
Effets de l’acidité sur les os et la densité osseuse
Des études montrent que :
- l’alimentation alcaline ou acide influence la rétention calcique osseuse (3)
- La balance minérale osseuse des femmes ménopausées est améliorée par la prise de bicarbonate de potassium (alcalinisant) (4)
- L’équilibre acide base a des effets sur la santé osseuse (5)
- L’acidose métabolique légère et chronique peut conduire à une perte de densité osseuse plus grande avec l’âge (6)
Plus neutre, une étude conclue qu’une alimentation dite « alcaline » peut certainement avoir des effets positifs sur la densité et la santé osseuse grâce à un apport de minéraux et vitamines plus important mais que rien ne permet d’affirmer avec certitude qu’une modification de la balance acide-base puisse être directement impliquée (7). On est déjà plus sur « la voie du milieu ».
Une méta-analyse déduit, à l’inverse qu’il n’y a pas de lien entre le calcium excrété par les reins en cas d’acidité de l’alimentation et la perte du calcium osseux (8).
Une autre montre que des régimes riches en phosphates et en protéines avaient un effet positif sur la santé des os (9).
Effets de l’acidité du corps sur la perte de muscle
Des études montrent que :
- pour favoriser l’élimination de l’acidité par les reins, le corps devrait utiliser les acides aminés pris dans ses muscles (12).
- une charge augmentée en produits acides accentue, en plus du calcium, l’élimination de déchets azotés (issus de protéines), et que la prise d’alcalinisants comme le bicarbonate de potassium pouvait la réduire (13).
Les détracteurs font remarquer que l’augmentation des protéines alimentaires (supposées acidifiantes) peut aider à tamponner l’acidité et à l’excréter par le rein (14) mais il est clair que l’on ne peut pas s’attendre à une perte de muscle dans le cadre d’un régime riche en protéines !
Et sur le reste
Pour terminer, une étude japonaise de 2013 montre la relation entre acidification du milieu extra-cellulaire et cancer (16), alors qu’une analyse de 2015 sur plusieurs études conclue que rien ne permet d’affirmer ni d’infirmer la relation entre acidité et risque de cancer de la vessie (15).
Nous voila donc pas beaucoup plus avancés, et je vous passe les études sur acidité et hypertension, acidité et diabète, etc…
L’ alimentation alcaline ou plutôt : « alcalinisante »
De quoi s’agit-il au juste ? Ici, le choix des aliments est fait pour obtenir, au final, une alcalinisation de l’organisme. Certains aliments se décomposent en micro-nutriments alcalins plutôt qu’en micro-nutriments acides. Au final, ils alcaliniseraient le corps. Sans parler de « régime » alcalin, une alimentation pour un meilleur équilibre acide base du corps car plus « alcalinisante » est basée sur les principes suivants (par rapport à notre alimentation moderne) :
- en priorité plus de légumes et plus de légumes frais
- plus de fruits (en restant modéré sur les fruits très sucrés)
- des fruits secs, noix et graines germées
- moins de viandes, et de chair animale en général
- moins de fromages, et de produits laitiers en général
- modération sur les céréales, farines, pâtes…
- boire des eaux minérales plates alcalines ou bicarbonatées
- manger le soja et ses dérivés sous forme fermentée
- diminuer les quantités d’aliments du repas du soir pour aider le foie à faire son travail nocturne de détoxication.
Au bout du compte, il s’agit de règles alimentaires de bon sens, retrouvées chez la plupart des population riches en centenaires.
Voir le PRAL et la liste des aliments alcalins et acides >>
Qu’en dit la médecine ayurvédique ?
On peut retrouver la plupart des récentes découvertes en matière de médecine fonctionnelle ou anti-âge dans cette médecine traditionnelle, ce qui les confirme et les renforce.
L’Ayurveda ne parle pas vraiment du concept acide-base du corps ni d’alimentation alcaline meilleure pour la santé. Ici, le pH du corps serait un indicateur d’équilibre, d’un bon niveau de « prana » (l’énergie circulant dans le corps et tirée de l’environnement), le « chi » en médecine chinoise.
D’une part, la Médecine Ayurvédique choisit les aliments à consommer selon la constitution de chacun. Les aliments préconisés pour une personne ont donc pour but d’équilibrer chez elle les trois forces de base (les doshas Vata, Pitta et Kapha).
D’autre part, elle classe les aliments en 3 catégories. Pour schématiser :
- ceux qui apportent l’inertie et rendent paresseux, lourd (tamasiques)
- ceux qui apportent excitation, agitation et agressivité (rajasiques)
- ceux qui apportent la paix, la vitalité, la joie et la sagesse (satviques).
Il se trouve que ces derniers (satviques) sont pratiquement tous des aliments alcalinisants… à méditer donc.
Conclusion : mangeons plus de végétaux et pas trop cuits
Voici une conclusion sur laquelle tout le monde devrait s’accorder.
La polémique existera probablement encore longtemps sur le rôle exact et avéré de l’excès d’acidité alimentaire, et le déclenchement des maladies ou de troubles de l’état général. Les études scientifiques ont du mal à trancher.
Ceci étant, l’approche globale et préventive avec prise en compte du terrain et des effets possibles d’un excès d’acidité des tissus du corps est intéressante. Elle a le mérite de chercher des explications là où les connaissances de la médecine classique butent.
Mais au final, quelles sont les implications de toutes ces discussions ? Si l’excès d’aliments acide existe et s’il peut avoir des répercutions sur la santé, il se corrige a priori facilement en mangeant plus d’aliments alcalinisants (que sont les fruits, légumes et oléagineux). Nous avons alors tout à gagner à en consommer d’avantage pour une alimentation plus alcaline, et en faisant un peu d’exercice, plutôt qu’en se triturant trop les méninges sur ce sujet.
En revanche, évitez les dogmes, les régimes ou les méthodes acide-base à la mode, et plus généralement tout ce qui est catégorique.
Après cette investigation, je continuerai donc de penser qu’une alimentation saine et proche de nos origines (du genre paléolithique mais pas trop riche en produits animaux) est une bonne voie, et qu’il faut surtout l’adapter ensuite à chacun, selon sa constitution.
En attendant d’en savoir plus…
Bonne approche. Bravo pour ce post.Ecouter les règles de la nature et avoir du bon sens est toujours positif. Ce n’est hélas pas le cas de tous les médecins et soignants….
oui je me conforte avec le précédent commentaire ….merci pour toutes ces précisions bien intéressantes et qui, même si elles ne sont pas validées par tous, et « validables », donne une marche à suivre correcte pour notre alimentation.
bravo pour le travail de recherche effectué !
Ma conviction est que le bon régime est : beaucoup de légumes et de fruits (fruits secs et oléagineux aussi), peu de protéines animales, très peu de céréales et de dérivés du lait. Vos conclusions me confortent dans mes idées. Je ne connaissait pas la médecine ayurvédique mais ça a l’air très instructif pour nous, occidentaux du 21° siècle à l’hygiène de vie plus qu’incertaine.